DISCUSSION AVEC HUBERT CHARUEL ET CLAUDE LE PAPE
Il s’est écoulé huit ans depuis la sortie de Petit Paysan...
HUBERT : Dès la présentation de Petit paysan à la Semaine de la Critique, la première question qu’on me posait c’était : « et le prochain projet, alors ? ». La question de l’après s’est toujours posée, mais elle a beaucoup varié. Avec Claude, je crois qu’on avait envie de revenir dans l’univers des courts-métrages Diagonale du vide et K-nada. Cet univers, c’est celui de la ville de Saint-Dizier, l’endroit où j’ai grandi et eu mes premières envies de faire du cinéma. Et toujours parler de personnages dont pas grand monde ne parle.
Le temps que ça a pris pour l’écrire et le réaliser, c’est celui de trouver le sujet qui nous a fait passer de l’envie à la nécessité de le faire. Une nécessité pour Claude et moi parce que c’est un sujet qui nous touche intimement et qu’on avait, chacun pour des raisons différentes, le besoin de le raconter.
Comment Météors a pris vie ?
CLAUDE : Le film a toujours été conçu pour être tourné à Saint-Dizier, et nulle part ailleurs. Le projet a beaucoup évolué, mais dès le départ c’était l’histoire d’une amitié très forte. Pendant longtemps, il y avait une envie de film catastrophe, une chute de météorite sur la ville, et au bout de deux ans, on a retiré la météorite et gardé tout le reste, le trio des personnages, les poubelles nucléaires, l’alcool, la disparition.
En fait, on est revenus à ce que Hubert voulait raconter depuis le début : un personnage qui veut en sauver un autre : Mika veut sauver Daniel, c’est tout. C’est un film catastrophe aussi, mais intime, avec un risque de destruction totale, mais intérieure.
On voulait montrer des amis qui s’aident, mais s’aident mal. Tony veut aider ses deux amis mais ça se passe mal. Mika veut aider Daniel mais leur duo sera mis à mal.
Comment s’est passé le casting ?
HUBERT : Le défi du casting était de reconstituer un trio d’amis très proches, il fallait qu’on croie à leur lien, à leur passé, etc. Le casting a été très long parce qu’on a mis du temps à trouver chacun des trois, mais une fois qu’on les a vus, ça a été une évidence immédiate, il n’y a pas eu d’hésitation. On s’est beaucoup posé de questions de méthodologie, de quel personnage on devait partir pour constituer le trio. On pensait plutôt chercher un Mika et un Dan en premier, mais c’est Salif en Tony qui s’est imposé dès les tout premiers essais filmés…
Des mois plus tard, on a vu un film où Idir avait deux ou trois scènes (Le Théorème de Marguerite), on l’a trouvé génial, Claude et moi avons beaucoup insisté pour qu’il vienne de Marseille alors qu’il était très occupé professionnellement et quand il est enfin arrivé, on s’est juste dit « c’est bien lui ». Et enfin Paul, qui n’avait jamais été cité dans les acteurs envisagés car plus jeune que les trentenaires qu’on cherchait. Il y a eu une illumination, et ça s’est décidé en deux jours.
CLAUDE : On était très sûrs de chacun, mais on ne savait pas si l’alchimie des trois allait fonctionner. Si on allait croire à quelque chose de commun entre eux : Idir est marseillais, Salif vient de La Courneuve et Paul de la Butte Montmartre.... Ils ne se connaissaient pas. On a fait une lecture tous les cinq de tout le scénario. Et ce qu’ils ont en commun, c’est une très grande sensibilité. Après cette lecture, on a enchaîné les répétitions, on savait qu’on pouvait avoir une confiance absolue en eux, dans ce qu’ils allaient offrir aux personnages et à leurs liens. Qu’ils seraient le coeur du film, et que le film s’adapterait à eux, leur différence d’âge, leurs accents, etc.
HUBERT : Tous les acteurs ne peuvent pas « matcher » à ce point. Ils se sont aimés et aidés au-delà de nos espérances. Je me sens très privilégié d’avoir pu assister à ça. Cela nous a tenus tout du long de la fabrication du film.
Dans le film, les femmes tiennent toutes des rôles « institutionnels » : addictologue, juge, avocate... Pourquoi ?
HUBERT : Le point de départ est assez autobiographique, parler des personnes avec qui j’ai grandi dans ce territoire, et c’est ce que nous étions à l’époque, un groupe de garçons. Je n’avais pas d’amie fille, ou c’étaient les copines de mes potes. Ça rejoint une vérité sociologique du territoire. On a beaucoup parlé, au moment de l’écriture du scénario, du livre Ceux qui restent de Benoît Coquard, qui parle de la région Grand Est, des lieux où j’ai grandi, où les garçons traînent avec les garçons, et les femmes se rencontrent à travers les amitiés masculines. Même les loisirs sont extrêmement genrés, la chasse, le foot, ou en ce qui me concerne s’ennuyer à plusieurs dans une voiture.
CLAUDE : On a bien sûr réfléchi au fait que les héros sont trois hommes, à ce que ça signifiait, on a imaginé changer le genre d’un des trois, mais dans notre société très hétéronormée, ça modifiait tout dans leurs relations. Et il y a peu de personnages autour d’eux, le film est très centré sur le trio. Les trois restent trois, aucune rencontre ne les change ou n’est déterminante pour eux.
HUBERT : Au fond, on voulait montrer des gens seuls au monde : sans mère ou père, sans frères ou sœurs, sans copines ou copains... c’est leur solitude qui les unit. Les rôles autour des trois sont donc petits, mais indispensables dans l’histoire. Certains sont tenus par des femmes, mais pas tous.
CLAUDE : Sur la question du genre, je trouve que ce ne sont pas des personnages masculins qu’on a l’habitude de voir. Je suis une femme et je peux complètement m’identifier à Daniel ou Mika, ils ne sont pas « marqués » comme des hommes en tant que tels.
HUBERT : Concernant les petits rôles, très importants pour nous, tous les acteurs ont été des évidences, comme pour les héros. Beaucoup sont des proches, des membres de l’équipe du film, des amis ou de la famille. Par exemple Valentin (ici un flic), c’est mon cousin qui a joué dans tous mes films, mes parents sont aussi là. Notre meilleure amie et assistante mise en scène Célie joue l’autre policière, Claire Langmann la directrice de production joue la juge, etc.
Travailler avec des non-professionnels est quelque chose de très intéressant parce qu’il y a un vrai partage entre eux et les acteurs pros. Ça a pris une autre dimension avec des gens de l’équipe. La mise en scène selon moi passe aussi par le choix des techniciens qui gravitent autour des acteurs. L’important c’est de créer une « safe place » pour les comédiens. Faire jouer les gens de l’équipe avec les comédiens, c’était créer un lien fort entre tout le monde, et retomber sur la problématique de tout le film, s’aider, se soutenir, respecter les vulnérabilités. Quand la directrice de production joue la juge, elle a peur, elle sort de son rôle sur le film et les acteurs se donnent aussi un autre rôle.
CLAUDE : Hubert a beaucoup insisté pour avoir des double caméra sur les séquences avec des non-professionnels, ce qui permettait de ne rien perdre de ce qui serait joué dans ces séquences (le tribunal, le commissariat, l’avocate, le lac, etc). Ça a permis de renforcer cette « safe place », de moins couper le jeu… il y avait une vraie joie de jouer vraiment ensemble ces scènes.
Le principal thème du film semble être la dépendance, évidemment à l’alcool...
CLAUDE : On a beaucoup pensé le point de vue : avec qui, par qui voit-on les choses ? On ne voulait pas, on ne pouvait pas se mettre du point de vue de Daniel. Je ne sais pas ce que c’est, de vivre avec cette dépendance. Hubert non plus. Mais on sait ce que c’est que d’être à côté. Il fallait que notre point de vue, celui du public, soit celui de Mika : un témoin qui cherche à aider mais n’y arrive pas, parce qu’au fond il ne comprend pas.
Montrer l’impuissance qu’on peut ressentir face à l’alcoolisme, mais aussi la complexité du visage de la maladie, des mensonges et des vérités qui se superposent, la culpabilité, la honte, le déni. Quand Daniel dit qu’il va aller au CSAPA, je pense qu’il y croit à ce moment-là mais qu’il sait qu’il n’ira pas.
HUBERT : Nous avons tous les deux des proches touchés par l’alcoolisme. Le film part de cette expérience-là. C’est comme Petit Paysan : on part de quelque chose de très personnel et on finit par toucher quelque chose de plus grand.
A l’époque de Petit paysan et de son financement, tout le monde nous disait que le monde agricole n’intéresserait personne au cinéma, et pourtant, quand on évoquait le projet, les gens nous parlaient tous de leur grands-parents qui étaient paysans, de leurs oncles qui avaient des vaches ou d’autres histoires de ferme.
Quand on commence à raconter l’histoire de Daniel, nos interlocuteurs nous parlent des proches à qui ils identifient le personnage. Cela crée une intimité avec des gens qu’on ne connait pas. Tout le monde aura un rapport avec cette histoire parce que tout le monde connaît un Daniel, même si le nôtre est inscrit dans un milieu, un espace précis, c’est toujours le proche de quelqu’un qui aimerait savoir comment le sauver.
CLAUDE : On voulait essayer d’être au plus juste sur la dépendance. Dan est dépendant. Mika ne l’est pas. C’est bien pour ça qu’il arrive à arrêter. Il fallait que ce soit dit. Sortir de la dépendance n’est pas qu’une question de volonté. On ne voulait pas que le film dise « quand on veut on peut ». Et pas que sur l’alcool. C’est tout simplement faux.
HUBERT : Au fond, Météors, c’est aussi une histoire de dépendance entre Dan et Mika, dans leur relation fusionnelle. Pourquoi Mika veut autant sauver Daniel ? Parce qu’il l’aime, c’est tout. On l’a écrit comme ça, une histoire de couple qui affronte ensemble. C’est une histoire d’amour entre deux personnes qui vont devoir se séparer.
CLAUDE : Oui, c’est une histoire d’amour selon nous. Et même si aimer ce n’est pas toujours aider et que Mika échoue à garder Dan, au fond, il a réussi.
HUBERT : Ils se sont libérés l’un et l’autre même si ça devait passer par ce constat.
CLAUDE : Tony et ce binôme sont aussi dans une relation d’interdépendance : Mika et Dan comptent sur lui tout le temps, et Tony a besoin qu’on compte sur lui. Et quand on change un système comme ça, tout s’effondre.
L’autre thème du film, qui surgit dans sa deuxième partie, est celui du traitement des déchets nucléaires dans l’Est de la France...
HUBERT : Oui, et c’était présent dès le départ : la représentation des poubelles nucléaires dans l’Est de la France. Le territoire de la Haute-Marne est complètement dépendant économiquement des déchets nucléaires.
Il y a deux grands aspects dans Météors : les gens et le territoire. On voulait vraiment parler de ces deux histoires mais au début de l’écriture on peinait à trouver l’angle pour que ça n’ait justement pas l’air d’être deux histoires distinctes.
Alors que j’étais prêt à abandonner le projet, un ami m’avait dit : « tu ne devrais pas lâcher, c’est beau cette histoire de personnes qui s’intoxiquent pour survivre ». Ça a été un déclic. On avait trouvé la clef de toute l’histoire : des gens et un territoire qui s’intoxiquent pour survivre.
Il ne faut pas oublier que nous, dans l’Est, on a grandi avec l’incident de Tchernobyl. On parle de Tchernobyl tout le temps, mais on vit dans une poubelle nucléaire sans que ce soit une inquiétude pour nous. On finit par ne plus se poser de questions. C’est uniquement depuis que je ne vis plus en Haute‑Marne que cette idée m’est apparue comme aberrante. C’est la question sociale que pose le film : on dépose des déchets radioactifs dans du béton, mais on ne sait pas du tout combien de temps le béton pourra tenir. En espérant que ce qui ne se voit pas n’existe pas.
Nous avons trouvé le décor près de Reims, dans une ancienne base aérienne qui a servi pendant la Seconde Guerre mondiale. On y a construit le décor de la poubelle, en extérieur. On y trouve d’anciens bunkers souterrains utilisés comme abris, et c’est là que la dernière partie du film a été tournée, pour les séquences « souterraines » de Dan. Ces tunnels de béton et de métal correspondaient à ce que je voulais raconter : Dan qui s’enfonce de plus en plus loin, dans des tuyaux de plus en plus étroits. Ça renforçait aussi la dimension science-fiction du film.
Quelles ont été vos influences visuelles ?
HUBERT : Le directeur de la photographie, Jacques Girault, est un ami de la Fémis, ça fait 15 ans qu’on se connait, et il était le directeur photo de Diagonale du vide, mon premier court‑métrage, qui avait été tourné en 16mm, en novembre. Je voulais retrouver ce type d’image, le grain, les couleurs un peu pastel, la douceur sur les visages.
CLAUDE : Jacques a aussi été directeur photo de mon court‑métrage La maison (pas très loin du Donegal), avec aussi une image poudrée qui parait presque effacée parfois, ou déjà un peu passée. Il a travaillé sur cette fragilité, cette sensibilité de l’image.
HUBERT : En vérité, je ne sais jamais quoi répondre à la question des influences visuelles. J’avais dit à Jacques que pour la séquence de course-poursuite, je voulais quelque chose entre Drive et L’Opération Corned Beef !
Ce qu’on voulait surtout, c’était que le film donne l’impression d’un mélange de genres, c’était le pari de Petit Paysan. On voulait continuer à s’amuser de cette manière sur Météors, quels genres pouvaient servir cette histoire qui a plusieurs niveaux de récit et qui glisse d’un genre à l’autre ; d’où l’idée de commencer comme une comédie buddy movie, puis un drame social, puis le thriller...
Mais par-dessus tout, Météors est un mélo. Enfin en tout cas un film qui assume les larmes. Claude a beaucoup pensé au Cercle des poètes disparus, moi à Rain Man, et pour nous deux Terminator 2, des films qui ont marqué nos enfances, et qui sont aussi des séparations. James Gray est aussi une de nos références essentielles parce qu’on aime tous ses films, mais sans pour autant se dire qu’on lui emprunte dans notre travail.
CLAUDE : On ne l’a jamais formulé comme ça, et sans évidemment comparer Météors à ses films, c’est vrai que dans les intérieurs peu éclairés, l’importance de la nuit, les personnages abîmés, l’espace, les séparations, il y a sans doute quelque chose de James Gray.